CHAPITRE XVI
XAVIER et Valrin s’interrogèrent du regard. Ils n’avaient jamais entendu ce nom auparavant.
« Curieux, dit enfin Valrin. Je ne me souviens pas qu’Hursa soit une planète ou une spatiocénose sous administration de la KAY.
— Parce qu’elle ne l’est pas, confirma Kristoferson. Elle a été découverte il y a moins de vingt ans. Elle est la propriété d’un vieil empire ruiné qui ne s’en soucie plus. C’est pourquoi elle a été choisie pour servir de cachette à Jana. Hors de notre sphère de surveillance.
— Nous irons la délivrer pour vous, déclara Valrin.
— Hursa n’est pas hospitalière, précisa Kristoferson. Aucun programme d’exploitation n’y a jamais été envisagé.
— Pourquoi ?
— La faune et la flore sont si hostiles qu’il n’y a pas de population sur place hormis un avant-poste scientifique. On pense que ceux qui détiennent Jana se trouvent à cinq cents kilomètres de là, mais ils bougent sans cesse. L’avantage c’est que, pour être aussi mobiles, leur nombre est forcément réduit. L’inconvénient c’est que vous devrez l’être aussi afin de ne pas attirer l’attention : ils ne doivent pas évacuer Jana vers un autre endroit, sinon nous perdrons à nouveau sa trace. »
La suite coulait de source. Une fois Jana récupérée, ils la livreraient à l’Eborn, avec l’assurance que Xavier resterait auprès d’elle si elle le désirait. Quant à Valrin, il aurait le soutien logistique nécessaire pour détruire le bureau exécutif de la KAY.
« Au fait, demanda Xavier, pour quelle raison la cachent-ils ? Pourquoi ne pas l’avoir déjà utilisée ? »
Kristoferson le fixa puis cligna brièvement des yeux.
Ma question vient de lui fournir la preuve que nous ne savons rien de leur secret, réalisa Xavier sans pouvoir se l’expliquer précisément.
« Le temps n’est pas encore venu, éluda-t-elle. Mais il approche. »
Elle spécifia que Valrin et lui n’auraient pas à se battre personnellement : ils n’avaient qu’à choisir sept noms pour former un commando, parmi une liste de mercenaires disponibles immédiatement et ayant la confiance de l’Eborn. Il y en avait près de deux cents. Valrin sélectionna ceux qui avaient déjà opéré en biosphère hostile. Il ne se faisait pas d’illusions : ceux-ci seraient payés pour les aider à récupérer Jana, mais aussi pour faire des rapports sur Xavier et lui auprès de Kristoferson ; et, selon toutes probabilités, les exécuter après la libération de Jana. Car, dès que leurs intérêts divergeraient de ceux de l’Eborn, celle-ci tâcherait de se débarrasser d’eux.
Les scientifiques de l’avant-poste n’étaient certainement pas au courant de la présence d’un groupe clandestin sur la planète. Le commando de Valrin n’avait pas à craindre d’être trahi de ce côté-là. Néanmoins, les arrivées sur Hursa devaient être surveillées par la KAY. Aussi, à leur débarquement, ils se feraient passer pour une équipe de maintenance des installations. Ils achèteraient le silence des scientifiques et obtiendraient peut-être même un guide. Jusqu’à l’exfiltration de Jana, aucune liaison comsat ne serait autorisée, y compris pour évacuer un blessé. Ils seraient livrés à eux-mêmes.
Pendant une semaine, ils demeurèrent dans la station orbitale de J-4, seulement occupée par les gardes du corps. Kristoferson ne fit plus d’autre apparition : elle était repartie juste après leur rencontre.
Un nouveau plan germa dans la tête de Valrin. Cela nécessiterait d’envoyer un message sans que l’Eborn soit au courant. Il avait un accès libre à un terminal de téléthèques, mais celui-ci était certainement espionné. Il devrait attendre d’être dans un orbiteur de ligne.
Au bout de dix jours, un orbiteur de l’Eborn les déposa, eux et Desiderio, sur Ast Case, un astéroïde de transit où ils avaient rendez-vous avec le commando. Celui-ci se composait de sept hommes aux noms aussi hétéroclites que leurs origines : Venator, Fesoa, Salvez, Mameluk, King, Madrian et Yavanna. Xavier et Valrin les rencontrèrent dans le hall d’attente d’Ast Case. Ils étaient déjà au courant de leur mission et n’attendaient plus qu’eux pour embarquer à bord d’un orbiteur spécialement affrété. Xavier se sentit jaugé tour à tour par chacun des mercenaires. L’un d’eux – Venator – avait la peau léopardée de bandes vertes irrégulières, sans que l’on soit certain qu’il s’agisse d’une mycose attrapée dans les Confins ou d’un tatouage militaire. Il se frotta le menton de l’index :
« Je ne comprends pas pourquoi vous tenez à nous accompagner. On nous a ordonné de ne pas poser de question à votre sujet, et vos instructions doivent avoir valeur d’ordres, mais je préfère vous prévenir tout de suite : je ne mets pas ma vie entre les mains de personnes que je ne connais pas – même si c’est vous qui nous avez choisis. Dans l’action, je serai seul juge. Si ça ne vous convient pas, trouvez-vous quelqu’un d’autre. »
Il y eut des acquiescements silencieux. Desiderio fronça les sourcils, mais Valrin le devança :
« Rassurez-vous, nous ne sommes pas des touristes avides d’émotions fortes. On fera la route ensemble, on délivrera Jana ensemble. Ensuite vous toucherez votre solde et on se dira adieu. »
L’homme-léopard hésita puis hocha la tête. Tout était dit.
Six cents kilos de matériel avaient déjà été embarqués sur l’orbiteur : armes, armures et instruments tropicalisés – les mercenaires savaient ce qui les attendait. Ils devaient rejoindre au plus vite un cargo de fret à destination d’Hursa. Celui-ci était déjà en route et ils n’auraient peut-être pas d’autre opportunité avant un an.
Pendant le trajet, ils se forcèrent à prendre leurs repas en commun afin de mieux se connaître. L’orbiteur disposait de nombreux caissons vides, en pressuriser un et le garnir de tables et de chaises en mousse rigidifiée ne leur prit pas plus de trois heures. Au cours d’un de ces repas, Venator leur conseilla de se familiariser avec Hursa.
« Toutes les infos disponibles sur les téléthèques proviennent d’une seule source, précisa-t-il : l’avant-poste scientifique où nous allons.
— Je ne t’ai pas attendu », rétorqua Valrin.
Et c’était vrai. Il savait tout ce qu’il y avait à savoir sur les résidents de l’avant-poste, du nombre de leurs communications scientifiques à leur consommation mensuelle d’antidépresseurs – assez élevée.
Hursa faisait partie des planètes à biosphère hostile, jugées peu prometteuses et donc délaissées. Impossible d’y faire pousser la moindre culture, et le sol était trop pauvre en minerais pour l’éventrer à grande échelle. Pire : la flore et la faune étaient un réservoir inépuisable de poisons violents, de substances cancérigènes ou hautement allergisantes. Bref, avait songé Valrin, aucune chance de la voir un jour représentée dans une arcologie comme Ast Faurès… Lors de sa découverte, un programme d’éradication totale de sa biosphère avait été envisagé. Mais le balayage complet de la surface aux rayons gamma par des satellites était d’un coût trop important ; quant au bombardement intensif de la croûte terrestre par des ogives HH, il n’offrait pas un résultat garanti à cent pour cent, sans compter le risque de contaminer l’atmosphère pour longtemps – trop pour les investisseurs qui avaient réalisé l’étude de rentabilité.
Une station-relais avait été placée en orbite un siècle auparavant. Et, comme par hasard, plus aucun vaisseau n’y transitait depuis trois ans. Seul l’avant-poste scientifique restait en surface, uniquement pour des raisons juridiques : un accord entre multimondiales stipulait que la propriété d’une planète ne pouvait être valide que si son propriétaire occupait le terrain. Toutefois, le poste avancé ne restait pas inactif. Les biochimistes qui composaient l’équipe principale analysaient la biosphère et tentaient de trouver des parades aux agressions, dans l’hypothétique espoir de l’installation d’une colonie alpha.
« Puisque tu t’es renseigné, continua Venator, tu sais que ce ne sera pas une promenade de santé. En ce qui te concerne, ça devrait aller. Mais pour ton ami et le confidato ? » L’espace d’un instant, le regard de Valrin oscilla. « Desiderio restera dans la station-relais. Quant à Xavier, la décision lui appartient. »
Desiderio, assis à côté de lui, lui souffla : « Tu peux rester en orbite avec moi, tu sais. Ou retourner sur J-4. Tes talents t’assureront un avenir à l’Eborn. Ce serait mieux pour toi… et peut-être même pour cette mission. »
L’espace d’un battement de cils, Xavier considéra cette offre. C’était vrai que rien ne l’obligeait à les accompagner. Il pouvait rester ici et attendre que Valrin et ses hommes lui ramènent Jana… Mais il savait que cela ne marchait pas ainsi.
Il lui fallait remonter lui-même le chemin jusqu’à elle. Quels que soient les obstacles. Sinon, ça n’avait pas de sens.
Je suis aussi fou que Valrin.
« Je viens », dit-il simplement.
La station-relais n’était constituée que de quatre entrepôts assemblés en croix autour d’un module d’appontage vieillot dont seul le cœur était pressurisé. Ils y laissèrent Desiderio avant de passer une combinaison et d’embarquer dans l’atterrisseur. Ils occupaient tous les sièges de l’unique cabine à l’extrémité conique. Par une caméra vidéo extérieure, Xavier regarda la station-relais se réduire à mesure que le puits gravifique d’Hursa les engloutissait. Des propulseurs d’appoint firent basculer l’appareil de cent soixante degrés, lui faisant pointer le nez vers le haut. Le soleil en profita pour entrer dans le champ, et un filtre de protection s’abattit sur l’objectif. À ce moment-là, une intuition traversa la conscience de Xavier : la certitude qu’il ne reverrait plus Desiderio.
Je suis vraiment aussi timbré que Valrin, se répéta-t-il en demandant à son terminal de changer de vue. Aussitôt, la planète emplit tout l’écran. Des formations nuageuses ocre et violacées dérivaient au-dessus d’un océan informe aux bords déchiquetés. Un message d’alerte indiqua que d’ici quelques minutes ils atteindraient la mésosphère et que le bouclier atmosphérique occulterait la caméra. L’atterrisseur survolait un continent qu’une cordillère sinueuse fronçait sur toute sa longueur. Il y avait des steppes, des vallées et des forêts jaune-rouge couvrant d’immenses territoires. De quoi offrir une cachette idéale à des ravisseurs.
Tu es là, quelque part, Jana. Et tu ne sais rien de moi. Pour toi, je ne suis qu’un visage entrevu lors d’une de tes escales. Et c’est mon meilleur camouflage.
Il mit la main devant la bouche et toussa fortement. Une mauvaise habitude contractée sur le cargo, depuis qu’on leur avait fait inhaler une poudre devant ensemencer leurs alvéoles pulmonaires. L’endolichen qui s’y développait absorbait l’oxygène excédentaire de l’atmosphère hursane, l’empêchant d’empoisonner les tissus ; on avait préalablement stérilisé cette souche afin d’éviter qu’elle ne colonise l’intégralité du système respiratoire. On avait garanti à Xavier que sa toux était purement psychologique. Salvez, à son côté, n’était pas du même avis et se donnait de furieux coups de poing sur la poitrine, comme pour écraser de la vermine.
La vision directe s’occulta, remplacée par une reconstitution synthétique de la péninsule où ils tombaient selon une courbe préprogrammée. Alignement correct, essayait de le rassurer l’écran tandis que l’indicateur d’altitude dégringolait à toute allure. Le fuselage se mit à vibrer davantage, mettant leurs sangles à rude épreuve. Xavier observa les lignes de relief qui s’aplatissaient lentement. Puis les tremblements de l’atterrisseur rendirent toute vision impossible.
« Altitude zéro ! » cria une voix.
Xavier crut reconnaître celle de Madrian, derrière lui. Une fraction de seconde plus tard, la cabine eut une secousse plus forte. Puis plus rien.
L’écran se ralluma, indiquant l’heure locale : six heures de l’après-midi. Xavier se déplia. La gravité était plutôt agréable, avec ses 0,89 g.
Un bip d’appel radio retentit dans leurs écouteurs.
« Ici Marion Ashley, commandant de l’avant-poste. Vous avez une tenue pressurisée sur le dos ? Si c’est le cas, ne vous en débarrassez pas en sortant. Sinon, mettez-la. »
« Quoi ? s’insurgea Salvez. À quoi ça sert de s’être enfilé cette saloperie de lichen dans les poumons pour être obligé de porter encore ce truc ? »
On ne pouvait l’en blâmer, car sa taille massive repoussait les limites de souplesse de sa combinaison. Xavier s’était d’abord dit qu’il venait d’une planète à forte gravité. Mais les apparences pouvaient être trompeuses.
« La ferme, Salvez, grogna Venator. Il y a sûrement autre chose. »
La porte bascula et Hursa leur souffla son haleine au visage.
Ils se trouvaient sur un tarmac fissuré, sali de grandes fleurs de suie causées par les atterrissages successifs. Le pourtour était rongé par une végétation aux allures de forêt sous-marine, avec des plantes grasses orangées, bardées de carapaces. La température était chaude mais pas étouffante ; le taux d’humidité devait être assez bas.
Xavier gardait le nez pointé vers le ciel. Venator le bouscula en riant :
« Pas la peine de te dévisser la tête, mon gars : le ciel est bleu sur toutes les planètes… ou bien il faudrait s’inquiéter pour nos poumons ! »
Un half-track tout-terrain jaune vif et couvert de gyrophares – aussi voyant qu’un camion de pompiers – se trouvait en bordure de piste. Une tourelle abritant un tandem de mitrailleuses lourdes coiffait son toit. Quatre hommes arrivaient en trottant. Deux d’entre eux portaient des pistolets-mitrailleurs en bandoulière. Un autre avait grimpé dans la tourelle et surveillait les alentours.
« C’est la guerre ou quoi ? maugréa King, un géant roux.
— Biosphère hostile », fit Madrian, laconique.
Valrin et Venator s’avancèrent ensemble vers le groupe qui approchait. Eux n’avaient pas de combinaisons. Valrin repéra la femme du groupe et la salua.
« Commandant Ashley ? »
Trop maigre. Menton en galoche, yeux noirs renfoncés, tignasse brune tombant sur des épaules osseuses. En tenue beige, un holster à la ceinture, elle n’était pas sans rappeler une de ces héroïnes kitsch d’holodrama, un peu ridicules et paradoxalement non dénuées d’élégance, de la propagande coloniale.
« Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? lança-t-elle d’une voix éraillée. Vous, qui êtes-vous ?
— On ne vous a pas prévenue ? fit semblant de s’étonner Valrin. On vient pour la maintenance des…
— Ne vous foutez pas de moi. Là-haut, ils savent qu’il n’y a rien à maintenir. Tout ce qui est cassé est irréparable. C’est pourquoi tout est remplaçable. Bon, qu’est-ce que vous voulez exactement ? »
Valrin lança un bref regard à Venator. Ce dernier avait négligemment porté la main derrière son dos.
« Ne vous énervez pas, madame. À vrai dire, nous ne sommes que de passage. On aura besoin d’un peu de votre coopération, et vous n’entendrez plus parler de nous. Il y aura même une prime à la clé pour votre discrétion. »
La colère qui enflait en Ashley sembla faire saillir les yeux de ses orbites.
« Qui êtes-vous ? Des prospecteurs miniers clandestins ? » Soudain, elle éclata de rire. « Mais non. Si c’était le cas, vous seriez les prospecteurs les plus stupides de l’univers. Je ne pense pas que vous soyez non plus les envoyés d’une entreprise pharmaceutique, cette biosphère ne vaut pas un clou. À moins que vous n’ayez jamais lu nos rapports ? »
Valrin leva le pouce en direction de l’atterrisseur.
« Et si nous terminions cette discussion au camp de base ? Vos amis vont s’impatienter.
— D’accord. Mais vous ne vous en tirerez pas à si bon compte. »
La soute de l’atterrisseur était conçue pour se détacher sans aide. Ils n’eurent qu’à amener le camion en dessous. Quand elle vit les conteneurs scellés et marqués USAGE RÉSERVÉ MAINTENANCE, Ashley fronça les sourcils mais ne broncha pas. Ils allèrent s’entasser dans l’habitacle avant, encadrés par les hommes d’escorte qui se postèrent au niveau des portes. Le camion démarra lourdement.
Venator désigna le fusil à impulsion à viseur laser entre les cuisses d’un des hommes. Des couches de ruban adhésif marqué par l’usure l’enrubannaient sur toute sa longueur.
« On dirait qu’il a l’habitude de servir, pas vrai ? »
L’homme gratta machinalement un abcès sur sa joue grêlée de cicatrices.
« Ouais, et vous aurez intérêt à vite apprendre si vous ne savez pas.
— Ne t’inquiète pas, on sait », fit Venator.
L’autre grimaça un sourire goguenard. Xavier savait que l’équipe de recherche était là depuis des années, certains depuis le début. Mais il ne s’attendait pas à découvrir ces individus efflanqués, couverts de plaies plus ou moins bien refermées. Il se garda d’échanger un regard avec Valrin ou l’un des mercenaires.
Le camion remonta une piste sur trois ou quatre kilomètres, et subitement le camp fut là.
Il méritait bien sa qualification d’avant-poste : une vingtaine de bunkers en béton trapus, rassemblés dans un périmètre délimité par des miradors surplombant un fossé de trois mètres de profondeur. Le camion franchit un pont de caillebotis en acier. Par la fenêtre, Xavier aperçut au fond du fossé des ossements biscornus et des carcasses d’animaux agglomérés, à divers stades de pourrissement.
Bon sang, quelle horreur.
Venator désigna un mirador :
« Mitrailleuses automatiques ? »
Ashley acquiesça.
« Reliées à un radar d’approche. Elles sont actives même de jour, mais elles ne tirent pas sur les êtres humains. Au début, les rafales nous mettaient tout le temps sur les nerfs, et puis en haut ils se sont enfin décidés à nous envoyer des réducteurs de son. Depuis, le moral s’est amélioré. »
Mameluk ébaucha une plaisanterie sur le sens de l’hospitalité de la faune locale, mais le camion passa devant le cimetière du camp, et le mercenaire ravala sa remarque en dénombrant une bonne trentaine de tombes.
« Ce sont des animaux sauvages qui ont fait ça ? interrogea Valrin.
— Ceux qui ont été tués par des animaux sauvages ne reposent pas ici, répondit Ashley. On ne les retrouve pas. Là, ce sont les piqûres d’insectes et les contaminations amibiennes. »
Les mercenaires échangèrent un regard interloqué.
« Des amibes ? On n’a rien lu là-dessus », dit Venator.
La femme eut un sourire.
« Ce n’est pas leur dénomination officielle. Mais c’est comme ça qu’on les appelle entre nous. Je vous les montrerai au microscope si vous voulez, elles sont assez mignonnes.
— Nos combinaisons, c’est à cause des amibes ? »
Elle secoua la tête.
« On n’échappe pas aux amibes, on se contente de colmater les brèches par thérapie cellulaire. Non, c’est pour les insectes, jusqu’à ce qu’on vous ait traités… D’ailleurs, nous y sommes. »
Le camion avait stoppé devant un bunker aux murs recouverts d’une couche luisante noire. Du téflon, expliqua Ashley, car certains pseudo-champignons parvenaient à s’incruster dans le béton le plus dur et finissaient par le faire éclater.
Les nouveaux arrivants descendirent et furent amenés dans une salle de bains commune.
« Un quart d’heure le matin, un quart d’heure le soir, indiqua Ashley en leur distribuant des lunettes de protection. C’est pénible et contraignant, mais absolument indispensable pour survivre. Il y a au moins cinquante espèces d’insectoïdes dont la piqûre est mortelle à plus de quatre-vingts pour cent. Le produit pulvérisé crée une seconde peau impénétrable aux dards, tout en permettant à la transpiration de s’évacuer. Oubliez une séance de douche, et c’est la mort assurée. Compris ? Ah, encore une chose : n’oubliez pas qu’il faut bouger juste après la douche, avant que le produit ne sèche. Sinon, vous serez engoncé jusqu’au soir. Une sensation très désagréable, je vous assure. »
Sur ce, elle sortit et referma soigneusement la porte derrière elle. Venator fut le premier à retirer sa combinaison pressurisée et la rouler en boule. Tout en l’imitant, Xavier put constater que les stries vertes qui zébraient son épiderme se prolongeaient sur tout son corps. Les uns à la suite des autres, ils se placèrent sous les vaporisateurs. Il n’y avait qu’à appuyer sur un bouton pour déclencher l’aspersion.
Xavier était le dernier. Il regarda l’air autour de lui se remplir de gouttelettes graisseuses tandis qu’un picotement gagnait tout son corps.
Les milliers de gouttes qui s’étaient déposées sur sa peau comme une rosée gluante semblèrent se vaporiser à vue d’œil. Au niveau microscopique, les chaînes polymères se liaient les unes aux autres pour former un film élastique, NE PAS SE GRATTER, insistait une inscription gravée dans le mur au niveau des yeux. Facile à dire…
Un chuintement, et une porte dans le fond bâilla. Ils se retrouvèrent dans un vestiaire avec des vêtements propres pour chacun d’eux. Valrin et les mercenaires se mirent aussitôt à faire des mouvements d’assouplissement. Xavier se soumit lui aussi à cette brève séance avant de passer la tenue beige et la ceinture à holster qui semblaient être la norme. Quand il fut habillé, il se rendit compte qu’il ne sentait plus du tout la pellicule qui le recouvrait. C’était comme si elle n’existait pas.
L’arrivage de matériel avait mis de l’animation dans le camp. Les conteneurs avaient été déchargés et ouverts, hormis ceux réservés aux mercenaires. Les hommes et les femmes examinaient à présent les nouveaux venus d’un œil soupçonneux, mais ils hésitaient à les questionner ouvertement. Xavier remarqua à cette occasion qu’au moins la moitié d’entre eux portaient d’anciennes traces de maladies.
Il s’approcha du bord du périmètre. Le fossé était bel et bien rempli de charognes décomposées. Des corps trapus, d’une blancheur oxygénée, laissant émerger un fouillis de membres tronqués recouverts d’une peau verruqueuse évoquant des pattes d’étoiles de mer. Des relents douceâtres de fruit pourri se dégageaient du charnier. Cela aurait dû être insupportable, mais l’odeur ne lui parvenait qu’atténuée. Il remarqua alors des piques métalliques plantées en terre, saillant vers l’extérieur. Certaines étaient presque entièrement recouvertes des cadavres qui s’y étaient embrochés. Saisi par ce spectacle macabre, Xavier recula…
Ce n’est qu’au dernier moment que son regard intercepta la forme qui fonçait sur lui.